sweet dreams.

Assise sur le perron, j'attends que maman et papa rentrent. Les yeux rouges, gonflés d'avoir trop pleuré, j'espère que maman ira bien. Ils sont partis depuis une bonne heure, je m'inquiète de plus en plus, elle avait l'air d'être mal en point quand papa l'a emmenée. Penny... Elle va bien maman ? Je me retourne pour faire face à Dylan, mon petit frère. J'essaye de faire disparaitre la peur, la tristesse, l'inquiétude pour le rassurer. Je hoche la tête, même si je ne suis pas convaincue de la réponse que je m'apprête à lui donner. Mais je préfère lui mentir et le voir détendu que lui dire la vérité et l'angoisser davantage. Je le prends dans mes bras. J'espère tellement qu'elle va bien... On attend ainsi une heure de plus. Et quand on voit la voiture remonter l'allée, je sens mon pouls s'accélérer. Papa est seul. Où est maman ? J'ai l'impression que la voix de Dylan provient de très loin, je ne quitte pas mon père des yeux, j'essaye de lire une réponse dans son regard. Il a les traits tirés, il semble épuisé. Votre maman est restée à l'hôpital pour se reposer, elle reviendra bientôt. Après avoir bordé Dylan, je retourne voir papa. Il prie, il pleure. Je comprends que c'est plus grave que ce qu'il a voulu nous faire croire. Et en effet, un an et demi plus tard, notre mère succombe à un cancer des poumons. Laissant derrière son mari et ses enfants âgés de dix, huit et six ans.

J'ai dû reprendre le rôle de la femme de maison. Mon père travaille dur, très dur. Je m'occupe de Dylan et de Rose. Heureusement, j'aidais beaucoup notre mère quand elle était encore là, surtout les derniers temps, je sais quoi faire. Du haut de mes quinze ans, je me comporte plus comme une mère que comme une adolescente. Les fêtes ? Non, très peu pour moi. J'ai des responsabilités. Et quand je ne m'occupe pas de l'éducation de mon frère et de ma sœur ou de la maison, je travaille. Je travaille dur parce que je veux réussir. Chez les Lovecraft on n'accepte pas l'échec. Papa veut ce qu'il y a de mieux pour nous, alors je compte bien veiller à ce qu'il soit fier de moi. Je récite mes leçons en même temps que je prépare le dîner, Dylan entre dans la cuisine, son bonnet sur sa tête. Enlève ça de ta tête. Dylan est beaucoup moins docile que Rose et moi, je sais qu'il en veut à papa de ne pas être plus présent pour nous. Je sais aussi qu'il m'en veut parce qu'il pense que j'essaye de prendre la place de notre mère. J'essaye de le rassurer en lui disant qu'elle est mieux là où elle est, au Paradis. Mais j'ai l'impression qu'il est en train de tourner le dos à Dieu, et ça m'inquiète de plus en plus.

J'ai eu raison de m'inquiéter pour Dylan. A dix-huit ans il a commencé à mal tourner, il a eu de mauvaises fréquentations et a trempé dans des affaires louches. Moi j'ai du mal à jongler entre la vie à la maison et mes études de droit. Mais quand je vois ce qu'il se passe dans notre famille, je suis bien obligée d'abandonner la faculté de droit. Tant pis, je ne deviendrai jamais la grande avocate que je rêverais d'être. Mais je veux être auprès des miens. J'attends sur le porche, les larmes ruissellent sur mes joues. J'ai l'impression de revenir de nombreuses années en arrière. Mais cette fois, je sais qu'il ne reviendra pas. Dylan. Mon petit frère. Je ne peux m'empêcher de me dire que j'aurais dû être là pour lui, et si ça avait été le cas, ça ne serait jamais arrivé. Ce qui devait arriver arriva. Règlement de compte. Dylan a été tué. J'ai beau savoir qu'il n'est plus de ce monde, je ne peux pas m'empêcher d'espérer le voir remonter l'allée avec son bonnet sur la tête.

Papa n'est plus. Je suis sûre que c'est le chagrin qui l'a tué. Il n'a pas supporté de perdre son fils, après sa femme. Les derniers temps, il était malade, affaibli. Rose et moi l'avons accompagné jusqu'à son dernier souffle. Ni elle ni moi ne voulons vivre dans cette maison. Elle nous rappelle bien trop de souvenir douloureux. Rose a été acceptée à l'université de New-York, je comprends qu'elle ait besoin de partir très loin d'ici, c'est mon cas aussi. Après nous être occupées de tous les documents, j'ai repris mes études de droit, mais je sais très bien que je ne deviendrai pas avocate. Un an plus tard, je l'ai rencontré. Lui. William. Cet homme si gentil, si doux et si aimant. Je me suis vite sentie bien avec lui. Les choses sont allées très vite entre nous. Je lui ai fait part de mon désir de quitter Bâton-Rouge et je l'ai suivi jusqu'à Hillsboro. Nous avons pu profiter du programme "New Legacy", ce qui nous a permis d'avoir une petite maison que nous n'aurions sûrement jamais pu nous payer. William est un brillant avocat, il n'a pas eu de mal à trouver un cabinet à Hillsboro. Pour ma part, j'ai vu mes prétentions à la baisse. J'ai laissé tomber mes rêves de devenir avocate et je suis finalement devenue contrôleur judiciaire. Un boulot bien moins palpitant et excitant mais un boulot qui me plait assez. Je déplore les cas que l'on me confie, des cas sans grands réels intérêts. Mais je n'ose pas refuser, je n'ose pas faire part de mes ambitions, de mon désir de travailler sur des cas plus "intéressants". Je suis assise à mon bureau, prête à accueillir un nouveau "client". Je lis le nom sur le dossier : Ange Russo.